Le surplus d’inspiration
Ce matin, je me suis réveillée avec une envie profonde de découvertes, de lectures, avec un besoin de noter mes idées dans mes carnets, de poser à plat ce qui tournait en boucle dans ma tête. Je n’avais pas vraiment de choses précises à écrire, ni d’idées à exploiter. Au contraire, j’avais juste énormément de choix d’actions à faire et j’en étais particulièrement exaltée. Bref, je sentais monter l’inspiration. Je me sentais traversée de toutes parts par elle et je la sentais même monter depuis plusieurs jours sans bien savoir pourquoi.
D’où vient notre inspiration ? Pourquoi est-elle si difficile à garder ? Est-ce possible d’en avoir trop ? Peut-on faire une overdose d’inspiration ?
Peut-être que vous vous êtes posé ces questions-là, vous aussi ? Peut-être vous êtes-vous heurtés à ce flottement de l’inspiration, à son aspect fugace, illusoire, volatile, imperceptible et évanescent ? Peut-être que, comme j’ai pu le faire des centaines de fois, vous êtes restés empêtrés dans ce méli-mélo éphémère et vous n’en avez rien fait ? Et vous vous en êtes voulu ?
C’est ce qui m’est arrivé ce matin. Je me suis laissée happer par la découverte, j’ai lu des e-mails quotidiens envoyés par mes influenceurs préférés qui m’ont interrogés sur des sujets existentiels, j’ai regardé des vidéos sur les thématiques qui m’animent au plus profond de mon être en ce moment, j’ai parcouru des articles de blogs dont les voix résonnent encore en moi, j’ai écouté les dernières nouveautés musicales en me laissant imprégner par leur flow, en me laissant frapper par leurs percussions, en me laissant étreindre et émouvoir par leurs paroles… L’avalanche de possibilités qui s’ouvrent inlassablement…
Soudain, je coupe tout, en me disant : c’est maintenant, je le sens, je suis prête à créer.
Et Boum. Le désœuvrement.
Que dois-je faire de toute cette inspiration ? Par où dois-je commencer ? Et comment ? Et si… ? Oui, mais… ? Et pourquoi ?! Argh.
Je suis bloquée.
Je regarde par ma fenêtre pour tenter de mettre de l’ordre dans tout ça mais même le spectacle de la nature est trop intense pour moi ; ces oiseaux qui virevoltent entre les fils électriques provoquant une chorégraphie aérienne, cette brume au fond du champ qui semble dissoudre les arbres nus de l’hiver, ce rayon de soleil qui trace sa route vers le lierre grimpant du mur de pierres, cette fleur givrée qui se balance doucement dans l’air glacé…
Je ferme les yeux et tente de me concentrer sur ma respiration. La méditation pourra peut-être réussir à ordonner le chaos ? Mais non, les pensées s‘enchaînent, se bousculent. J’ai mille idées que je trouve toutes plus intéressantes les unes que les autres, que j’ai envie d’approfondir tout de suite, d’utiliser, de façonner, que j’oublie aussi vite qu’elles arrivent, qui m’échappent douloureusement. La sensation est bien là, ancrée en moi.
L’inspiration.
Crée. Maintenant. Je t’en supplie.
A ce moment-là, l’inspiration me donne un peu les effets psychosomatiques du syndrome de Stendhal.
Connaissez-vous ce phénomène ? L’avez-vous déjà ressenti ?
Si vous avez déjà eu en vous ce phénomène à la fois salvateur et dévastateur, vous voyez très bien de quoi je parle.
Face à une œuvre d’art, ou à un paysage, ou à la prolifération d’un grand nombre d’œuvres qui ont une signification particulière pour soi, le rythme du cœur s’accélère soudain, nous entraînant dans une spirale ; vertiges, suffocations, oppressions. Nous sommes à la fois happés et désarmés. Fascinés par l’œuvre et effrayés par la force de nos émotions face à elle. Quelquefois, ce syndrome entraîne même des hallucinations et des chutes de tensions telles qu’on peut s’évanouir.
Comme lorsque je ne pouvais détacher mes yeux des toiles gigantesques des nymphéas de Monet à l’Orangerie et que leurs énergies se jetaient sur moi pour pénétrer au fond de ma poitrine et y tambouriner sans relâche, comme face aux Côtes de Granit Rose en Bretagne où j’ai eu l’impression que mon cerveau était emporté dans le même tourbillon du vent de la mer agitée qui venait m’encercler …
Voilà comment je me sens ce matin face à toutes ces inspirations extérieures qui deviennent alors mon inspiration. Elle est là en moi, s’insinue dans mes veines, fait de ma chair un amas tremblant, de mes poumons les réceptacles de mon souffle défaillant et dans mon ventre crée un feu brûlant. Appelons-le, de façon tout à fait égotique, le syndrome ou l’effet Markils (haha, ça sonne bien en plus) : un trouble psychosomatique lié à un surplus d’inspiration. Qui mène au syndrome de la page blanche. Que de syndromes !
Vous allez me dire : de quoi se plaint-elle si elle a autant d’inspiration qu’elle le dit ? C’est génial de ne pas manquer d’inspiration, non ?
Et j’entends parfaitement cet argument. Cela ne semble pas être un véritable problème en soi. Pourtant les faits sont là. Je n’arrive pas à créer alors que je suis terriblement inspirée.
A moins que vous ne vous retrouviez, vous aussi, dans ce que j’exprime ici et que vous ne savez pas comment faire face à ce blocage ? Comment en sortir ? Après des journées, voire des semaines, ou même des mois entiers, de recherches, de lectures, de brouillons, vous vous sentez, vous aussi, galvanisés, prêts à vous lancer sans concession. Et puis rien. Cette sensation est tellement frustrante, j’en ai conscience. Car elle est faite d’une chaleur brûlante qui ne s’évacue aucunement.
On nous rabâche sans cesse la nécessité de trouver l’inspiration, on nous abreuve de conseils et d’astuces – moi la première – pour la raviver. Il semble plus commun de souffrir du manque d’inspiration que de son abondance. Je me demande alors si cette sensation que je vis ne trouve pas sa source dans ce puits d’inspiration sans fond qui nous est offert aujourd’hui ? Il y a trop de techniques à explorer, de pratiques à tester, d’idées géniales à transformer en or. Et vous, comme moi, savez que vous en seriez capable, au fond de vous-même. Ne transformez pas cette frustration en bourreau. Tout ça est temporaire.
Et si la solution n’était-elle pas de lâcher-prise ? Complètement. Je ne parle pas de ce concept tellement en vogue qu’il nous paraît presque galvaudé aujourd’hui, où tu abandonnes tout, pensées, actes et émotions, ce qui permettrait soi-disant de te libérer entièrement. Comme si on devenait un bouddha de conscience et de paix. Concept très beau au demeurant (et qui fait rêver aussi) mais qui est d’une difficulté extrême dans notre société, vous me l’accorderez.
Non, je parle de ce lâcher-prise lié à l’acceptation de ce qui est.
Si aujourd’hui, comme moi, vous n’arrivez pas à créer parce que vous vous abreuvez sans cesse de tous les côtés sans pouvoir vous retenir ? Alors soit. En réalité, la sensation est grisante, non ? Et cela peut être votre passion de découvrir, d’apprendre. Vous pouvez même, comme je le fais aujourd’hui, vivre cette sensation à fond. Sans rien faire. Et sans culpabiliser de ne rien faire.
Pourquoi devrait-on absolument en faire quelque chose ? Pourquoi s’inflige-t-on cette obligation de créer quelque chose à partir de notre inspiration ?
Et si, finalement, l’inspiration n’était-elle pas présente en nous, intrinsèquement pour être source de vie, énergie qui nous nourrit en elle-même, dans notre intériorité profonde ? Sans attente, sans toujours tenter de la projeter dans le monde tangible ?
Je ne sais pas ce que vous en pensez et j’adorerais que vous m’écriviez le fond de votre pensée sur le sujet. Et si vous traversez les mêmes choses que moi, ne voyez pas forcément ça comme une lutte intérieure, une bataille pour créer. Expérimentez la sensation telle qu’elle est. Et vivez à partir d’elle. Car elle est là, je pense, la finalité de cet élan intérieur.
A la manière de cette fleur givrée : être cristallisé dans la beauté.