Francesca Woodman
Je pense qu’il m’aurait été difficile de commencer à vous parler des artistes qui peuplent mon panthéon sans parler de Francesca Woodman. J’ai découvert cette photographe américaine, à l’âge de 16 ans, alors que j’étudiais les arts plastiques et que je me passionnais pour les arts visuels tel que la photographie, l’audiovisuel, la peinture ou encore le collage. Je me souviens de l’émotion que j’ai ressentie en regardant la diapositive qui montrait en boucle les photographies de cette artiste tandis que mon professeur de l’époque nous racontait succinctement sa vie. Je ne pouvais détacher mes yeux de l’écran, comme appellée par une force inconnue : un coup de foudre artistique. J’en étais presque à ressentir les effets du syndrome de Stendhal. J’écoutais d’une oreille attentive le parcours de l’artiste, me sentant de plus en plus aspirée par un je-ne-sais-quoi en elle qui faisait écho en moi.
Assez connue dans le milieu photographique, Francesca Woodman reste néanmoins une artiste intime dont la notoriété est assez limitée aujourd’hui au regard de ses 800 photographies prises en seulement huit années. Née à Denver en 1958 de parents artistes, Francesca Woodman développa son talent pour la photographie dès l’âge de 13 ans et multiplia les réussites scolaires, allant même passer un an à Rome dans le cadre de ses études. Sur place, en 1978, à 19 ans seulement, Francesca Woodman expose une série de photographies, en grande partie des autoportraits à la librairie-galerie Maldaror. Influencée par les surréalistes dont André Breton, elle influença elle-même un grand nombre d’artistes dont une qui fait aussi partie de mon panthéon et dont je vous parlerai plus tard, Nan Goldin. En 1981, elle publie son premier et seul livre : Some Disordered Interior Geometries, mêlant recherches géométriques avec photos et annotations.
La même année, en 1981, après une première tentative ratée l’année précédente, Francesca Woodman se suicide en se défenestrant de son appartement New-Yorkais de l’East Side.
Cette information, donnée négligemment par mon professeur qui se contentait de faire son cours, m’a violemment fait revenir sur terre. La gorge serrée, je compris alors ce qui m’avait attiré dans ses photos : la douceur de sa souffrance. Pur oxymore qui ne prend sens à mes yeux que lorsque l’on plonge au cœur de ses photographies : on y voit alors le vide, l’évanescence, le corps au naturel, le questionnement identitaire, l’envie de disparaître, la ruine, l’isolement, les ombres intérieures mais aussi la sensualité et la présence. Beaucoup aujourd’hui, parle d’elle comme d’un spectre, un fantôme, un ange, projetant son image photographique fluide et mouvante sur son destin de disparue…
Ce qui est étonnant, c’est que j’ai perdu son nom après mon lycée : incapable de m’en souvenir alors que ses photographies étaient imprimées à l’intérieur de mon crâne, me hantant avec fougue. Je m’en suis beaucoup voulu car j’avais fréquemment envie de me plonger dans son œuvre « pour de vrai ». Malgré mes recherches, pendant longtemps, je n’ai pas réussi à retrouver son nom et je pense que c’est cette absence qui a transformé ma fascination pour son travail en affection profonde.
J’ai retrouvé son nom il y a seulement un an, au détour d’une relecture d’un carnet dans lequel je l’avais calligraphié avec amour. Cela m’est revenu au bon moment, dans ce genre d’instants où mes propres ombres me parlaient continuellement : j’y ai vu un signe que je recevais son message.
« N’aies pas peur de tes ombres, elles font partie de toi ».
Je ne saurais choisir une de mes photographies préférées de Francesca Woodman tant elles sont interdépendantes les unes des autres mais je tenais à m’attarder sur l’une d’entre-elles donc j’ai choisi celle-ci parce que je la trouve particulièrement représentative de son travail.
Comme toutes ses photographies, celle que je vous présente est en argentique, au format carré, en noir et blanc. Ce que je trouve fascinant dans cette œuvre, c’est sa poésie de la ruine. En utilisant le papier peint comme une couverture corporelle, elle s’immisce dans la bâtisse elle-même. L’intérieur semble figé dans le temps, l’extérieur en pause. Son visage est dans l’ombre et nous avons tout de même l’impression qu’elle nous observe en biais. Ses cheveux éclairés par le soleil, semble être fait de la même matière que le papier peint.
Je suis fascinée par ce carré de lumière. Francesca Woodman aime travailler sur les encadrements de portes et fenêtres, sur les carrés et rectangles de lumière (le miroir qui est une de ses figures visuelles les plus utilisées en est un aussi, à sa manière), sur le cadre… Ces différents éléments font aussi partie de mon imaginaire et sont prédominants dans mes œuvres donc je ne peux qu’être fascinée par cette partie de la photographie. Ce qui m’interpelle c’est cette ombre dans la lumière, comme le reflet de l’artiste elle-même mais recréé à partir des éléments de décors présents. Dans une autre photographie célèbre de l’artiste (voir ci-dessous), elle se tient sur un tabouret, nue, et son ombre a été recréée avec ce qu’il semble être de la suie sur le sol.
Francesca Woodman se transforme pour se projeter dans un reflet qui n’est pas la réalité. Elle interroge sa propre identité, devenant elle-même une présence dans des lieux abandonnés. Elle semble les habiter, imprimer de sa marque sa présence qu’elle sait éphémère. Elle se recouvre du passé pour investir le présent… et y laisser sa trace, à tout jamais.
C’est d’une beauté troublante, n’est-ce pas ?
Quand je ferme les yeux pour visiter mon panthéon, elle se trouve là, avec son chignon lâche et ses yeux perçants mais elle est aussi ailleurs et partout à la fois. Je ne peux la toucher au risque qu’elle s’évapore, mais elle est pourtant bien présente et imprègne les lieux de toutes ses ombres qui se reflètent sur le sol de mon imaginaire.
Et vous, connaissez-vous cette artiste ? Si non, avez-vous envie d’en savoir plus ? Que pensez-vous de son travail ?
NB : toutes les photographies de cet article sont libres d’utilisation. Celle mise en avant en première est, comme beaucoup d’autres, sans titre (Untitled) et a été prise en 1979.